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VENISE 2024 Orizzonti

Deepak Rauniyar et Asha Magrati • Réalisateur et actrice principale de Pooja, Sir

“Nous avons eu le sentiment qu'il en allait de notre responsabilité de faire un film sur un sujet que les médias ne pouvaient pas couvrir”

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- VENISE 2024 : Le réalisateur népalais et sa comédienne principale, partenaires à la ville comme à la scène, nous parlent de l'élan qui les a amenés à faire un film inspiré de leur relation

Deepak Rauniyar et Asha Magrati •  Réalisateur et actrice principale de Pooja, Sir
(© Isabeau de Gennaro/Cineuropa)

En tant que Madhesi, le réalisateur Deepak Rauniyar livre Pooja, Sir [+lire aussi :
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, une histoire profondément personnelle qui se passe dans le contexte des manifestations de la minorité ethnique des Madhesis survenues en 2015 au sud du Népal. Rauniyar a coécrit le scénario du film avec sa femme, Asha Magrati, qui incarne y aussi le personnage éponyme. Le film a fait sa première mondiale dans la section Orizzonti de la Mostra de Venise.

Cineuropa : Votre film s'intitulait initialement The Sky Is Mine. Son nouveau titre souligne un autre aspect du film. Quel raisonnement vous a amené à opérer ce changement ?
Deepak Rauniyar : C'est venu pendant le montage, à partir des retours qu’on nous a faits. Les gens disaient tout le temps que le titre semblait indiquer un film joyeux, alors que ce n’est pas le cas. Au départ, j’avais été intrigué par un poème d'Abbas Kiarostami. J'ai pensé à The Sky Is Mine parce que tous nos personnages appartiennent à des minorités et que d’une certaine manière, ils veulent décrocher le ciel. C'était très significatif, pour nous, mais apparemment, les gens se posaient beaucoup de questions là-dessus pendant le visionnage. Nous ne voulions pas que les gens s'interrogent pendant le film, alors nous lui avons donné un titre plus clair qui suggère aussi la notion d'identité dans un film sur le parcours de Pooja.

Le film suit l’histoire de Pooja et Mamata, deux policières très différentes entre elles qui se dédient différemment à leur métier et leur identité. Comment cette relation en particulier est-elle née ?
D.R. : Le film s’inspire à vrai dire de nous. Pooja, naturellement, c'est elle [Asha].

Asha Magrati : Et lui, c'est Mamata.
D.R. : Nous nous sommes inspirés de ce qu'a vécu Asha dans mon univers à partir du moment où nous avons commencé à nous fréquenter – plus spécialement de la différence entre ça et ce à quoi elle s'attendait. Le film s'articule autour d'un personnage d'outsider qui arrive dans la vie d’une personne madhesi ou vient vivre dans une ville madhesi, et fait l’expérience de ce monde et se trouve affectée par lui. Notre objectif était que le public suive le même genre de parcours et développe peu à peu des sentiments d'empathie ou se sente une connexion avec l'histoire. Nous voulions que ce film soit un pont entre les communautés.

Nous avons tous les deux grandi sous le régime Panchayat [une monarchie absolue] et vécu la guerre civile népalaise. Au moment du processus de paix, il a eu des mouvements de protestation massifs du côté des Madhesis à la peau plus sombre, en 2007, 2008 et 2015. Ils ont été brutalement réprimés, et plusieurs personnes ont été tuées. Connaissant l’histoire de près, et ayant constaté que la société s'est beaucoup refroidie après les manifestations, nous avons eu le sentiment qu'il en allait de notre responsabilité de faire un film pour montrer ce que les médias quotidiens ne pouvaient pas couvrir. Ç’aurait pu être un film totalement différent, s’il avait mis en scène un manifestant qui traverse tout cela, mais ç'aurait été un film différent pour nous. Il semblait plus naturel d'arriver dans ce village et d'aborder les choses en adoptant un point de vue extérieur. On comprend la vie du Népalais ordinaire d'une certaine manière, et puis on arrive sur place, et cette perspective se transforme en quelque chose d’autre.

A.M. : Avant de le rencontrer, je voyais les choses totalement différemment. Après notre mariage, ça a changé : je me sentais très coupable par rapport aux raisons pour lesquelles nous continuions de nous comporter ainsi. Les Madhesi sont aussi des Népalais. Eux aussi font partie de notre famille, de nos communautés. Je voulais dire ça à mon peuple. Nous nous sommes dit : "Racontons donc tout cela selon le point de vue de Pooja". Je voulais dire à tout le monde qu'eux aussi sont des compatriotes, qu'ils ne sont pas différents.

D.R. : Asha circulait en moto à l'époque. Je me souviens qu'une nuit, alors que nous rentrions à la maison (je travaillais à l’époque pour la BBC), la police nous a arrêtés. J'avais avec moi deux ordinateurs, et ils voulaient des preuves qu’ils étaient bien à moi. J’ai montré mon badge de la BBC (dans un pays du Tiers monde, le badge BBC a beaucoup de poids), mais ça n’a pas aidé. Ils ont continué de demander des preuves jusqu’à ce qu’Asha se fâche, et là ils ont arrêté. On vivait régulièrement ce genre de choses.

Vous avez un peu fait ployer les rôles de genre en transposant l'histoire sur ces personnages. Pooja se démarque tout particulièrement dans ce contexte, parce qu'elle est queer et d'allure assez masculine.
D.R. : Quand nous avons commencé à interviewer des gens et à rencontrer des policiers, nous nous sommes dit que 2015 serait le meilleur contexte, parce que c'est l’époque où tout cela se passait. Nous avons été très impressionnés par ces femmes policières qui rejoignaient un département où il y avait si peu de femmes. Encore maintenant, la police népalaise compte moins de 5 ou 7 % de femmes, je ne connais pas le chiffre exact. Beaucoup de policières que nous avons rencontrées à cette époque, que nous avons suivies sur six ou sept ans d’interviews répétées, étaient queers. Nous avons trouvé que ce choix était naturel et authentique pour raconter cette histoire.

(Traduit de l'anglais)

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